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La loi travail EL KHOMRI
En effet, après pas mal d'aléas et de contestations, après avoir été définitivement adoptée par le parlement le 21 juillet 2016, validée par le Conseil Constitutionnel le 4 août, elle est officiellement promulguée le 8 août et publiée au Journal Officiel de la République française le 9 août 2016.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Il s'agit d'une loi ambitieuse. Les éditions spécialisées en droit du travail n’hésitent pas à évoquer un nouveau modèle social.
Son premier chapitre ne manque pas de le rappeler, puisqu'il organise, sur une période de deux ans, les travaux nécessaires en vue d'une refondation du Code du Travail, conformément aux principes qui avaient été dégagés par la comité présidé par Robert BADINTER.
L’objectif est de le moderniser le Code du Travail, de le simplifier et aussi de redynamiser l'économie et l'emploi.
La réécriture du Code du Travail reposera sur une nouvelle architecture en 3 parties :
- L’ordre public (socle auquel il est impossible de déroger)
- La négociation collective (les accords collectifs)
- Les dispositions supplétives (les règles à appliquer à défaut d’accord)
L'intention est pieuse. Le MEDEF ne manque pas de faire insidieusement remarquer que l'inflation des textes suit l’ascension de la courbe du chômage. A titre d'illustration, l'édition officielle du fameux code du travail rouge comprenait 1000 pages en 1990, 2000 en 2000, 3000 en 2010 et 3689 en 2015…
La nouvelle loi, divisée en 7 titres aborde ainsi :
- La refondation du droit du travail
- Les dispositions relatives à la négociation collective
- La sécurisation des parcours professionnels
- Les dispositions dédiées à la promotion de l’emploi
- La réforme de la médecine du travail
- Les dispositions de lutte contre le détachement illégal
- Des dispositions diverses dont des aménagements de l’inspection du travail.
Chacun de ces chapitres englobent eux-mêmes un contenu volumineux (le projet de loi fait à lui seul 392 pages).
Pour que la loi soit opérationnelle, elle va elle-même nécessiter la mise en œuvre d’une impressionnante série de textes réglementaires. Le Sénat en a fait l’inventaire. Plus de 130 décrets à venir, et pas moins de 15 rapports et quatre ordonnances à publier.
Autant dire que bien que remaniée et réaménagée sous la pression des opposants, la loi est loin d’être un texte édulcoré.
La mise en application des nouvelles dispositions va donc nécessiter un certain temps.
Le Gouvernement fait cependant le forcing pour accélérer les choses. Dans un communiqué de presse, la Ministre du Travail indique que la majeure partie des décrets sera publiée d’ici fin octobre et le reste avant la fin de l’année 2016.
Les nouvelles dispositions légales devraient donc entrer en application rapidement et au plus tard au 1er janvier 2017.
En principe, car les opposants à la loi n'ont pas l'intention de désarmer et l'entrée en vigueur du texte peut connaître quelques contrariétés.
Ajoutons aussi que s’agissant d’une loi très politique, elle a toutes chances de subir les aléas des éventuels changements de majorité.
En attendant, revenons sur les principaux sujets de cette loi.
Le Compte Personnel d'Activité (CPA)
C'est une des mesures phare. A partir du 1er janvier 2017, tous les salariés, quelle que soit leur situation (au travail ou au chômage), mais aussi les travailleurs indépendants au 1er janvier 2018, seront équipés d'un compte personnel d'activité.
Le CPA préfigure le système de protection sociale de demain. Les droits acquis par une personne lui sont attachés quelque soit ses changements d’emploi ou de statut.
En fait il s'agit d'un dossier personnel qui suivra chaque travailleur tout au long de sa carrière et qui centralisera l'enregistrement de ses droits sociaux. Il intégrera des compteurs existants ( Compte personnel de formation, Compte personnel de pénibilité, Compteur de droits rechargeables au chômage, Compte d'engagement citoyen des volontaires des armées, Compte d'engagement citoyen des encadrants de terrain des associations, Compte épargne temps…..)
A noter, la loi travail fixe les modalités de mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF) pour les non-salariés agricoles, chefs d’entreprise ou exploitants agricoles et conjoints collaborateurs. Cela concerne aussi les employeurs du secteur de la pêche et cultures marines, qui pourront accéder, au même titre que les salariés à des formations qualifiantes ou à une reconnaissance de leurs acquis d’expérience (VAE).
Le but du CPA est de permettre à chacun d'avoir en permanence accès à l'ensemble des droits sociaux qu'il a constitué, via un fichier numérique, pour faciliter leur utilisation tout au long de sa vie professionnelle.
Par exemple après avoir engrangé dans diverses activités, tout au long de sa vie professionnelle, des points sur son compteur de pénibilité, accessible par le CPA, un travailleur pourra faire le point de ses droits et formuler une demande de départ anticipé à la retraite.
Le Droit à la Déconnexion
La banalisation de l’utilisation des technologies numériques et des outils connectés modifie les comportements professionnels.
Les appels à tout moment sur les portables, le flux des mails, entrainent bien souvent une intrusion de l’activité professionnelle dans la sphère privée.
La pression des sollicitations, les urgences, font que nombre de salariés, bien qu’ayant quitté leur travail, sont rattrapés par celui-ci.
Il devenait donc nécessaire de légiférer afin de protéger les temps de repos et la vie personnelle et familiale des salariés.
La loi fait entrer dans le Code du Travail des dispositions visant à mettre en œuvre, par la négociation d’accords, un droit des salariés à la déconnexion.
La place de la négociation collective
La réécriture annoncée du Code du Travail a pour philosophie de juxtaposer deux catégories de textes.
D’un coté, le droit du travail comporterait un socle de règles commun à tous et d’un autre coté des textes résultant de la négociation collective.
Dans ce cadre le souhait du Gouvernement est que les règles du droit du travail soient le plus possible issues d’une négociation au plus près des salariés.
Les accords majoritaires conclus au niveau des entreprises sont donc privilégiés.
Ils auront une durée de vie limitée, normalement cinq ans, afin de dynamiser leur révision périodique.
Cette règle s’applique dans un premier temps à tout ce qui concerne la durée du travail, les congés, les repos et les accords en matière d’emploi.
Nouveauté juridique importante les accords d’entreprise priment sur le contrat de travail, ses dispositions se substituant à celles énoncées au contrat. Une exception toutefois, l’accord ne pourra pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié.
Ces dispositions entrent dans le cadre de la fameuse inversion de la hiérarchie des normes. Elles vont aussi à l’encontre de la suprématie des accords de branche.
Un accord local pourra définir des règles différentes, voire moins favorables que celles d’un accord national.
Cet aspect de la loi focalise les craintes et l’opposition de nombre de partenaires sociaux qui y voient un danger de démolition des acquis sociaux.
Ajoutons à la liste des sujets d’inquiétude le fait que la Loi Travail institue une nouvelle donne lors de la dénonciation d’accords existants. Désormais dès le début du préavis de dénonciation, sans en attendre le terme comme auparavant, il sera possible d’anticiper la négociation d’un accord de substitution avec pour seule garantie le maintien de la rémunération. Ceci risque d’accélérer la disparition d’avantages individuels acquis.
Il n’est pas certain que les contreparties accordées aux branches de redynamiser leur rôle, en les rassemblant et en les rendant plus fortes, désamorce les réticences.
En effet, la loi prévoit une réduction en 3 ans du nombre de Branches Professionnelles, de 750 actuellement à 200. Le Gouvernement avance la comparaison avec l’économie Allemande qui ne compte que 150 Branches Professionnelles.
Les Branches Professionnelles n’en continueront pas moins à exercer un rôle important puisqu’elles auront vocation à définir le socle social applicable à tous les salariés. Elles encadreront également les nouvelles souplesses introduites au niveau des entreprises.
Le Temps de Travail
C’est le sujet sur lequel les accords d’entreprise dérogatoires aux accords de branche, ou à la loi, va introduire des souplesses et cela concernera notamment :
- Le plafond hebdomadaire de travail. L’accord d’entreprise permettra le passage de 44 à 46 heures sur 12 semaines consécutives.
- Le plancher hebdomadaire de travail. La Loi reprend les dispositions des précédentes réglementations qui prévoyaient de déroger au minimum de 24 heures en cas d’accord de branche étendu.
- Les astreintes : La loi travail en retouche la définition. Dans la nouvelle rédaction du texte, le salarié n’a plus l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité, il doit simplement être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. Le délai de prévenance pour informer le salarié de sa programmation individuelle n’est plus fixé à 15 jours mais devra être un délai raisonnable.
- La modulation du temps de travail. Nouveauté, celle-ci pourra aller jusqu’à 3 ans, si un accord majoritaire est obtenu au sein de l’entreprise, pour répondre, par exemple, à un projet d’investissement ou à un cycle de production s’étendant sur plusieurs années. Rappelons que jusqu’à maintenant les modulations (alternances de cycles haut et de cycles bas) étaient étalés sur 12 mois.
La rémunération des heures supplémentaires
Cela fait partie des sujets sensibles puisque désormais l’accord d’entreprise, qui devra être majoritaire, pourra fixer le taux de majoration des heures supplémentaires avec un minimum au moins égal à 10%.
Cette disposition permettra à chaque entreprise de fixer la rémunération des heures supplémentaires librement et même en dérogation avec les dispositions prévues par un accord de branche.
A défaut d’accord, c’est le taux légal qui s’applique soit 25% pour les 8 premières heures et 50% au-delà.
Pour ce qui est des majorations appliquées aux heures complémentaires des salariés à temps partiel, la loi n’apporte aucune modification.
Les Forfaits Jours
Les petites entreprises (moins de 50 salariés) pourront mettre en place un système de forfait jour par accord avec un salarié mandaté à défaut de délégué syndical.
Cette organisation du travail qui permet d’échapper aux contraintes horaires devra néanmoins prévoir un contrôle de la charge de travail par l’employeur conforme aux exigences de la loi.
Les licenciements économiques
L’objectif de la loi vise à énoncer de façon précise les motifs de licenciement économique afin de sécuriser la démarche des entreprises.
Ainsi par exemple sont maintenant codifiés : la cessation d’activité de l’entreprise, la réorganisation de l’entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité, une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitations, une importante dégradation de la trésorerie.
Paradoxalement, le Gouvernement escompte lever les réticences sur le licenciement économique, ce qui par contrecoup lèverait les freins à l’embauche en CDI et permettrait aux entreprises de s’adapter aux aléas de la conjoncture.
La modernisation de la médecine du travail
Dans un contexte de pénurie de médecin du travail, la loi redéfinit leur fonction en vue de leur conférer un rôle central et de leur permettre de s’entourer d’équipes pluridisciplinaires pour accomplir leur mission.
Tout travailleur devant bénéficier, non seulement d’une visite d’embauche, mais aussi d’un suivi individuel de son état de santé, le médecin du travail pourra cibler son activité vers les salariés présentant le plus de situations à risque. Pour les salariés moins exposés, le médecin du travail pourra confier à un membre d’une équipe pluridisciplinaire l’accomplissement de visites de sensibilisation et de prévention aux risques professionnels.
La lutte contre les fraudes au détachement
Les prestations de service internationales de salariés détachés par une entreprise étrangère se sont très fortement développées. En 10 ans le recours à ce type de main-d’œuvre a été multiplié par 10. Les fraudes se sont aussi très fortement développées, générant un dumping social.
Face à cette situation, la loi travail met en œuvre toute une série de dispositions visant à encadrer l’importation de main-d’œuvre : renforcement des sanctions en cas de fraude, moyens de contrôle accrus pour l’administration, renforcement de l’obligation de vigilance et responsabilisation des maitres d’ouvrage, renforcement des droits des salariés détachés….
Il est à noter entre-autres, que l’employeur devra veiller non seulement à ce que les documents précisant les règles de droit s’appliquant aux salariés détachés soient rédigés dans leur langue mais encore à ce que les affichages obligatoires soient aussi rédigés dans la langue du salarié.
L’Emploi saisonnier
Un certain nombre de dispositions de la loi travail améliorent le statut des travailleurs saisonniers.
Une définition précise du travail saisonnier est maintenant écrite dans la loi. Il s’agit d’emplois dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.
Le principe de la reconduction des contrats d’une saison à l’autre fera l’objet de négociations au niveau des entreprises ou de la branche afin de prendre en compte l’ancienneté des salariés.
La situation est également améliorée au regard de l’incidence des jours fériés. Les travailleurs saisonniers, comme tous autres travailleurs, ne pourront subir de perte de salaire en raison du chômage des jours fériés, dès lors qu’ils totalisent au moins 3 mois d’ancienneté dans l’entreprise, du fait de divers contrats successifs ou non.
Le Handicap
La Loi Travail apporte un certain nombre de nouveautés qui ont pour but non seulement d’aider la personne handicapée au niveau de l’embauche ou du maintien dans l’emploi, mais aussi d’aider les familles au sein duquel se trouve une personne ayant un handicape.
Il y a lieu notamment de retenir des mesures facilitant les congés puisque la présence d’un enfant ou d’un adulte handicapé au foyer entrainera une dérogation à l’interdiction de prendre plus de 24 jours ouvrables de congés payés d’affilés.
De même cette situation sera prise en compte dans les critères de priorité d’ordre de départ en congés.
Les congés
Les congés payés pourront désormais être pris dès l’embauche et non plus à l’ouverture des droits.
Par ailleurs certains congés légaux pour évènements familiaux voient leur durée relevée, ainsi :
- Le congé pour le décès d’un enfant passe de 2 à 5 jours
- Le congé pour le décès d’un conjoint ou du partenaire lié par un PCAS passe de 2 à 3 jours
- Le congé pour le décès des parents, beaux-parents, d’un frère ou d’une sœur passe de 1 à 3 jours
Un nouveau congé est créé, il concerne les parents en cas de survenance d’un handicap chez un enfant. Ce nouveau congé est de 2 jours.
Terminons enfin cette liste non-exhaustive en citant en vrac toute une série de mesures concernant :
L’apprentissage : L’enseignement dispensé par les CFA pourra être effectué pour partie ou en totalité à distance. Egalement, à titre expérimental, dans certaines régions l’âge d’entrée dans l’apprentissage sera reporté de 25 ans à 30 ans.
Professionnalisation : A titre expérimental un élargissement des formations et des modalités de prise en charge est mis en œuvre en vue de permettre l’accès à une qualification aux demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail.
Sexisme : La loi introduit, pour l’employeur, une obligation de prévention en intégrant la protection contre les agissements sexistes à la planification des risques professionnels.
Représentation du personnel : le crédit d’heures des délégués syndicaux est relevé de 20%.
Salariés jeunes parents : Pour renforcer la protection de cette catégorie de salariés, la loi interdit désormais la rupture de leur contrat de travail :
- dans les 10 semaines qui suivent la réintégration dans l’entreprise suite à un congé maternité pour les mères.
- et les 10 semaines qui suivent la naissance pour le père.
Groupements d’Employeurs : la loi travail encourage le développement de groupements d’employeurs au travers de 2 mesures significatives.
- La première consiste à rendre les groupements d’employeurs éligibles aux aides à l’emploi dont auraient pu bénéficier directement leurs entreprises adhérentes si elles avaient embauché directement les personnes mises à leur disposition.
- La seconde prévoit que désormais les coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) sont considérées comme des groupements d’employeurs.
Chantiers forestiers : La loi travail s’invite dans un peu tous les domaines puisque l’on y trouve une réécriture de l’article L 718-9 du code rural et de la pêche maritime assouplissant les obligations d’affichage en bordure de chantiers forestiers.
Bulletin de salaire numérique : la loi travail, pour encourager sa mise en œuvre au 1er janvier 2017, prévoit, à son article 54, que sauf avis contraire du salarié, l’employeur sera en droit de remettre un bulletin dématérialisé.
Voilà, pour ce qui nous est paru essentiel de vous dire sur un texte qui touche à une foule de sujets divers et variés. De nombreuses questions viendront se poser au fur et à mesure de l’entrée en vigueur des ordonnances et décrets d’application.
Nous aurons l’occasion de revenir sur toutes ces dispositions et bien d’autres encore, par le biais de prochains articles du MAG ou sur le blog du CGO, afin de vous accompagner dans les nombreuses et complexes évolutions du droit du travail.
N’hésitez pas non plus à questionner vos gestionnaires de paie et Conseillers en droit social.
Tags : dialogue social, code du travail, Loi Travail, Loi El Khomri